Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Cerisiers roses et pommiers blancs

   par Nicole Gérardot



"Quand nous jouions à la marelle,
Cerisiers roses et pommiers blancs.
J’ai cru mourir d’amour pour elle,
En l’embrassant"
...


Nous savons tous que les cerisiers sont blancs et les pommiers roses. Peu importe. D’abord parce que la chanson est jolie et surtout parce que ces arbres, au réveil de la nature, nous offrent un magnifique spectacle.
Puis au plaisir des yeux suivra le plaisir des papilles Quel régal de goûter sur l’arbre les premières cerises ! Il faut d’ailleurs bien les surveiller ; nous ne sommes pas les seuls à apprécier ces fruits car les oiseaux, les étourneaux en particulier peuvent manger notre récolte en une seule nuit !
Des cerises, il y en a de différentes couleurs, elles sont blanches à peine teintées de rose, rouges, noires. Elles sont douces, sucrées, croquantes, acidulées, aigrelettes. Elles portent le nom de bigarreaux, de guignes, de griottes « Le cerisier était déjà présent en Europe 3000 ans avant notre ère. Le général romain Lucullus aurait rapporté des greffons de ses campagnes militaires. Chez nous dès le Moyen Age, la cerise était l’un des fruits les plus appréciés. Aujourd’hui plus de 200 variétés sont répertoriées dans notre pays, mais on n’en cultive qu’une douzaine seulement. » (Lu dans le catalogue d’une pépinière d’Argonne.)

C’est un régal de les manger fraîches, mais on peut en faire aussi de succulents desserts : le clafoutis bien sûr dont Mme Cappy, dans son recueil de recettes argonnaises, nous en donne des variantes. Le clafoutis de la Grange-aux-Bois, avec des cerises noires ’les guinettes« non dénoyautées, celui de Passavant avec, cette fois, des cerises aigres »les montmorency« dénoyautées. Mais elles sont à la base de nombreuses autres douceurs : tartes, gâteaux, confitures et kirsch quand elles sont distillées. Sans oublier »les cerises à la goutte" ! Qui n’a pas le souvenir de ces fruits macérés dans de l’eau de vie avec du sucre pendant plusieurs mois que l’on offrait aux dames à la fin d’un repas ou à l’occasion d’une visite ? Autrefois, on buvait du guignolet kirsch, un apéritif à base de cerise. Et n’oublions pas les queues de cerises qui sont utilisées en tisane. Elles nettoient le sang, luttent contre les rhumatismes, baissent le cholestérol, aident à perdre du poids, à nettoyer le foie !

Nous avons encore de nombreux cerisiers en Argonne mais beaucoup moins que dans les années 50-60. Il y a eu un terrible hiver l’année 56, les arbres ont beaucoup souffert. Le remembrement en a fait disparaître de nombreux qui n’ont pas été remplacés. La vie a changé, des usines se sont installées à Sainte-Ménehould. Les cueilleurs sont allés y travailler.

Claudine Fouraux, originaire de la Grange-aux-Bois, raconte :
"Il fut un temps où la Grange-aux-Bois et ses alentours étaient connus pour être un véritable verger : pommiers, pruniers, poiriers et surtout cerisiers croissaient dans un véritable jardin d’Eden. Les récoltes faisaient la prospérité de ce village qui était d’ailleurs référencé dans un livre de géographie que j’utilisais à l’école primaire. Je me rappelle encore des noms de certaines variétés : les cœurs rouges ou noirs, les guinettes, les buttes, les clermones, les belles de prin, les montmorency, mes préférées, aigrelettes et parfumées.
Mon grand-père Fernand était propriétaire de nombreux vergers et payait des cueilleurs pour la récolte. Avec ma petite sœur, nous avions le droit de monter à l’échelle, mais pas plus de quatre bouzons ! L’échelle était assurée par des étançons et nous étions sous la protection de notre oncle Maurice. Comme toutes les petites filles, nous choisissions des cerises bien grosses, bien brillantes, attachées deux par deux et nous en faisions des boucles d’oreilles. Chaque soir mon grand-père venait chercher les cageots remplis de ces fruits odorants avec une charrette tirée par un cheval, puis les amenait dans une grange proche de notre maison pour les peser et rétribuer les cueilleurs pour leur travail. J’aimais peser et faire les comptes !
Mon père Max était marchand de fruits et deux ou trois fois par semaine, il allait avec Henry et Gérard Thiébaut vendre ses cerises aux halles de Paris qui étaient encore à cette époque au centre de la ville. Parfois, nous étions du voyage, ma sœur et moi. Il nous aménageait une couchette à l’arrière du camion, entre les cageots car on voyageait de nuit pour être à l’aurore à Paris. J’entends encore le brouhaha, les cris, je revois encore les vendeurs, les acheteurs survoltés, pleins d’énergie ! Quelle ambiance ! Le camion vidé, nous allions déjeuner dans un bistrot du quartier avec « les costauds des halles » : saucisson, jambon, omelette et chocolat pour les « cadettes ». Le retour était gai, nous chantions en chœur les tubes à la mode. Quels jolis souvenirs du temps des cerises avec mon père disparu bien trop tôt."


Dans « Horizons d’Argonne », Michel Poncelet a écrit un article intitulé « La Georgette une femme des bois ». Il y raconte la vie d’une femme, née en 1914 et mariée à un bûcheron. Avec son mari, elle passait tout l’hiver dans la forêt. Ils rentraient pour la fête au village vers la mi-mai. Après la plantation des pommes de terre, le démariage des betteraves, venait la cueillette des cerises. Je le cite :
"Il y en avait de plusieurs qualités, dit Georgette, il y avait les précoces, les guinettes Hum ! la galette aux guinettes ! Puis les premières cerises aigres, les dernières étaient les clermones. Et il y avait les cœurs !
Moi j’ai cueilli à « la Joyeuse » pendant quinze jours sans arrêter, avec la mère Barbier. C’était pas rien de cueillir les cerises, c’était du boulot, parce que si vous vouliez bien faire ! Ma plus grosse journée, ça a été cent cinquante-neuf kilos ! Et il n’y en avait pas un qui m’a doublée ! En 1953, j’ai fait plus de deux mille kilos ; il fallait se les taper, j’vousl’dis, moi ! Je changeais les échelles en suivant le soleil pour cueillir à l’ombre. Je ne me reposais pas pendant midi par crainte d’un orage le lendemain.
Et quand on arrivait à la Grange-aux-Bois, c’était pire que les vendanges. Il y avait plein de gens qui venaient acheter. Certains disaient : « On va aller chez le père Nicolas, la Georgette doit en avoir cueilli ! ». J’étais payée quatre francs du kilo à la cueillette chez le Charles Nicolas. Le dimanche je cueillais aussi, mais seulement jusqu’à quatre heure de l’après-midi."


La cueillette des cerises à la Grange-aux-Bois, ça n’était pas une petite affaire ! Il était de tradition, le jour de la fête qui a lieu à la sainte Jeanne d’Arc, de confectionner des tartes « aux sleisses », comme on disait en patois. Sleisses de l’année précédentes mises en bocaux. En 1992, M. Moreau, alors maire du village et M. Jacquier son adjoint eurent l’idée de créer « La fête de la cerise ». Cette fête connut un grand succès avec ses chars fleuris, ses animations et bien sûr la dégustation de tartes cuites sur place. Malheureusement celle-ci disparut faute de bénévoles.

Comme j’ai commencé en chanson, je vais terminer de même avec, vous vous en doutez, la fameuse chanson « Le temps des cerises ».

Quand nous chanterons, le temps des cerises,
Et gai rossignol, et merle moqueur
Seront tous en fête !
Les belles auront la folie en tête
Et les amoureux, du soleil au cœur !!
Quand nous chanterons le temps des cerises,
Sifflera bien mieux le merle moqueur !
Mais il est bien court, le temps des cerises
Où l’on va à deux, cueillir en rêvant
Des pendants d’oreilles
Cerises d’amour aux roses pareilles,
Tombant sous la feuille en gouttes de sang
Mais il est bien court, le temps des cerises,
Pendants de corail qu’on cueille en rêvant !


Nicole Gérardot

Notes : Les paroles de cette chanson furent écrites par Jean Baptiste Clément en 1868.
La photo des cerisiers en fleurs est de Max Chaffaut, le dessin de Luc Delemotte.
Michel Poncelet a été professeur de lycée. Il était né à Ste-Ménehould et a fréquenté le lycée Chanzy. Il était très attaché à sa ville natale et a écrit de nombreux articles sur notre région dans « Horizons d’Argonne ». Plusieurs de ses écrits ont été publiés par le Centre d’études argonnais et notamment « Richesses naturelles de l’Argonne » en collaboration avec André Gerdeaux. Il est décédé en 2009.


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