Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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Camps de prisonniers.

   par Nicole Gérardot



"Mon grand-père est maintenant décédé, il n’a jamais voulu parler de sa captivité. Il était brigadier au 42ème RADT (régiment d’artillerie), a été fait prisonnier le 18 juin 1940 près de Dijon, conduit au frontstalag [1] de St Florentin, a travaillé au mois d’août dans une ferme de Thiéblemont- Farémont. Il a ensuite été conduit au frontstalg 193 de Ste-Ménehould avant de prendre un train à bestiaux jusqu’en Autriche où il est arrivé au stalag XVII A au nord de Vienne le 12 septembre 1940.
De là, j’ai trouvé qu’il avait travaillé à l’usine Pintsch à Simmering entre début 1943 et juin 1945. A l’arrivée des Russes, il s’est enfui dans Vienne, la croix rouge l’a retrouvé et mis dans un avion pour Lille le 6 juin 1945.
C’est après avoir contacté de nombreux organismes comme le comité international de la croix rouge, les archives militaires et civiles de Vincennes, Rouen, Pau, Limoges Caen, Pierrefite et encore d’autres organismes que j’ai réussi à retracer une partie du parcours de mon grand-père. Je suis même allé sur le lieu de son stalag en Autriche, c’était très émouvant.
J’ai réussi à trouver un article à propos du frontstalag de St Florentin où il a été prisonnier juste après avoir été capturé mais rien sur le frontstalag 193 de Ste-Ménehould . C’est pour cela que je m’adresse à vous."


Voilà une lettre que notre journal a reçue. D’ailleurs, peu de temps après, une autre lettre nous a été adressée qui demandait les mêmes renseignements au sujet du frontstalag 193.
M. Jussy a répondu à ces deux demandeurs leur disant que nous n’avions aucun document à leur fournir et que, malheureusement, le temps a passé et les témoins de cette époque ont disparu. Il les a mis en relation et ils ont pu échanger leurs documents.
Le 3 septembre 1939, la France et l’Angleterre déclarent la guerre à l’Allemagne, le 10 mai, 1940, les armées allemandes lancent une vaste offensive sur les Pays-Bas et la Belgique. Après la percée de Sedan et une succession de reculs des armées alliées et française, elle se termine par la retraite des troupes britanniques et la demande d’armistice du général Pétain appelé à diriger le gouvernement.
Les Allemands sont d’abord débordés par l’ampleur de leurs prises. (Plus d’un million de soldats). Ils les parquent dans de vastes espaces en leur faisant aménager une cinquantaine de frontstalags. C’est dans les casernes du quartier Valmy que s’est installé celui de Ste-Ménehould. Mais ces prisonniers seront vite envoyés en Allemagne, en Autriche et en Pologne et travailleront pour l’économie allemande. Il ne restera plus en France que les soldats coloniaux dont les Allemands ne veulent pas. C’est pourquoi, il y a peu de documents sur ces camps qui ont duré quelques mois, de juin à septembre.

Dans la nuit du 6 au 7 mai 1945, le général Alfred Jold signe la capitulation sans condition de l’Allemagne à Reims. La ratification se fait à Berlin le 8.
Les portes des casernes du quartier Valmy s’ouvrent à nouveau pour accueillir, cette fois, des prisonniers allemands. Beaucoup ont été capturés en France, d’autres sont venus d’Allemagne aider à reconstruire le pays. En tout, il y eut environ 700 000 prisonniers employés dans l’agriculture, la reconstruction, les mines de charbon, le déminage … A partir de 1947, les prisonniers ont été progressivement rapatriés ou transformés en travailleurs libres.
Si nous avons peu de documents sur ce camp de prisonniers de Ste- Ménehould, nous avons, par contre, encore des personnes qui se souviennent.
Raymond est un gamin en 1945. Il raconte : « Un jour mon père m’emmène à Menou chercher un prisonnier. Il faut choisir un homme parmi ceux qui sont là. Comment communiquer quand on ne parle pas la même langue ? Mon père s’approche d’un des prisonniers et lui fait des gestes pour lui faire comprendre qu’il cherche quelqu’un qui sait traire. Le prisonnier hoche la tête et répond »ya, ya«  ! C’est l’homme qu’il faut à mon père ! Mais en fait, notre homme n’a jamais trait une vache de sa vie. Il a sans doute pensé que dans une ferme, il aurait à manger. Mon père l’a occupé à d’autres tâches. C’était un brave homme, déjà âgé, qui avait ses enfants en Allemagne. Il occupait une petite chambre et j’allais le voir. Il m’a appris à jouer de l’harmonica. Il est reparti assez vite en Allemagne. Nous avons eu deux autres prisonniers. L’un, parlait assez bien le français mais était un peu »gandin« comme on disait autrefois. Un jour qu’il voulait nous montrer comment on tenait sa cavalière pour danser, mon père un peu énervé, lui dit assez sèchement : »Oui, mais en attendant, tu vas aller monder [2] les vaches" !
Denis et Alain, eux aussi se souviennent. Des prisonniers se sont succédés dans la ferme de leurs parents. Le père de Denis venait juste de rentrer d’Allemagne. Il avait de la rancune et c’était dur pour lui de supporter la vue d’un Allemand. Le prisonnier mangeait seul dans une petite pièce, mais il retrouvait, le soir, d’autres prisonniers qui étaient au village. Aucun des trois n’avait jamais travaillé dans une ferme.
Les parents d’Alain ont eu deux prisonniers. L’un faisait son travail et tout se passait bien mais l’autre était un vrai Hitlérien qui n’acceptait pas la défaite. On l’a soupçonné d’avoir empoisonné des animaux.
Monique, elle, n’a pas pu connaître Karl quand il était prisonnier chez ses parents à la ferme, puisqu’elle est née en 1952 ! Mais elle l’a connu des années plus tard quand, lycéenne, elle est allée chez lui parfaire son allemand. Ses parents se sont liés d’amitié avec cet homme et encore maintenant, ils restent en contact avec lui et sa famille. Des liens d’amitié se sont ainsi parfois noués entre Français et Allemands et parfois même des liens plus intimes.
1945, c’est aussi le retour d’environ un million de soldats français emmenés en Allemagne l’été 1940, qui, face à une défaite éclair, ont subi l’opprobre de la population alors qu’ils ont courageusement défendu leur pays. Ce sont des hommes amaigris, épuisés, éprouvés par cinq années de captivité qui vont retrouver femme et enfants.

Nicole Gérardot

Notes

[1Un fronstalag est un camp de prisonniers de guerre français sur le territoire français. Un stalag est un camp de prisonniers en Allemagne.

[2monder c’est retirer le fumier.

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