Connaissance du Patrimoine Culturel Local
Le Petit Journal
de Sainte-Ménehould
et ses voisins d'Argonne
Edition régulière d'un bulletin traitant de l'histoire, des coutumes et de l'actualité.


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14-18 A MENOU

   par Roger Berdold



---------Le 28 juin 1914, à Sarajevo, l’assassinat de l’archiduc François Ferdinand, héritier du trône des HABSBOURG, par un patriote bosniaque venu de Serbie, déclenche le processus infernal de l’entrée en guerre : le conflit entre l’Autriche-Hongrie et la Serbie. Or, l’Autriche-Hongrie est l’alliée de l’Allemagne et la Serbie celle de la Russie. La France, quant à elle, est l’alliée de la Russie.
---------Ce jeu des alliances entraînera un face à face France-Allemagne.
---------Le 28 juillet 1914, l’Autriche-Hongrie déclare la guerre à la Serbie. Le 31 juillet, la Russie mobilise, l’Allemagne réplique par un ultimatum. Le 1er août, la guerre est déclarée entre l’Allemagne et la Russie. La France décrète la mobilisation générale.
Le 4 août 1914, les allemands pénètrent en Belgique...
Durant cette guerre, l’immeuble appartenant à Monsieur GERAUDEL, Rue Philippe de la Force, a hébergé beaucoup de personnalités. La lingère des lieux a noté, sur un cahier, les hôtes de passage. C’est ainsi que le 24 juillet 1916, à 21 heures, le Commandant CHABORT, attaché au Général HIRSCHAUER, annonce l’arrivée du Prince de Serbie, pour le 25 juillet vers 17 heures.
---------Je vous livre le texte intégral consigné par la lingère de la « Maison GERAUDEL » sur son cahier :

---------« 25 juillet 1916 - 10 heures du matin : arrivée de son Altesse Royale le Prince de Serbie.

---------Le Prince nous était annoncé pour cinq heures du soir, venant de l’état-major « HUMBERT », mais il arriva à dix heures le matin, accompagné de deux colonels serbes et d’un capitaine français, qui était un ami du Prince. Il arriva sans crier gare, car personne ne l’attendait à cette heure. Un planton de l’état-major l’accompagna et monta ses valises. La tenue du Prince était si simple que nous le prîmes pour une ordonnance serbe : une blouse de toile grise à col droit comme les russes, une toque sans ornement ni aucun galon. Le planton redescendit, car il avait trouvé toutes portes fermées. Je montai, juste avec les clés pour ouvrir et leur donner les chambres respectives à leurs chefs. Le planton me dit : « Tout est fermé ? » « Dame, lui dis-je, vous croyez donc que je laisse toutes les portes de mes chambres ouvertes pour entrer qui veut s’y promener ! » Le Prince, qui était assis sur le coffre en haut de l’escalier, sourit et dit à son Colonel : « Quel luxe ici ! » Je ne sais pas où il avait vu du luxe puisqu’il ne pouvait entrer nulle part. Puis, me retournant vers le Capitaine français, je lui dis que le Prince de Serbie nous était annoncé pour l’après-midi, c’est pourquoi il trouvait tout fermé. Un signe de tête fut la seule réponse. J’ouvris la chambre bleue, le Prince me suivant, tout en prenant le bras de son ami. Il firent ensemble quelques pas de polka russe dans le couloir ciré. Eà lui allait à merveille. Il s’arrêta net quand il vit que je le regardais, quoique ses traits fins et son genre m’aient frappé. Craignant une surprise, je lui dis, tout en souriant, car sa bonne humeur m’avait gagné : « Cette chambre est réservée au Prince de Serbie ». Les deux Colonels et le Capitaine français se mirent à rire et le Prince, le plus tranquillement du monde, me répondit : « Ah ! » Puis, entrant dans la chambre, il leva les bras au ciel : «  C’est trop beau, c’est trop grand ! » Son Colonel lui dit : « Mais non ! C’est pour vous ! » «  Non, » répondit le Prince, « Je vous la laisse ». Puis, il voulut voir les autres chambres ; il se fixa dans la chambre de Madame Emile GERAUDEL. Il fit une courte toilette puis partit en auto, avec sa suite, pour Nettancourt, où l’attendait le Général HUMBERT, pour déjeuner.

---------A trois heures, le Général HIRSCHAUER vint à son bureau et me prévint que le Prince de Serbie était celui qui était le plus mal habillé. « Je vous le dis pour que vous ne vous trompiez pas pour sa chambre ! » « Mais, » lui répondis-je, « Général, le Prince est arrivé et justement il n’a pas voulu la chambre qui lui était destinée ! » Stupéfaction du Général : « Comment, » dit-il, « Il est arrivé ? Mais à quelle heure ? Où est-il ? On aurait dû me prévenir ! Qui l’a conduit ? » Je répondis à toutes ses questions puis il partit en me remerciant.

---------Son Altesse revint à quatre heures. Il fut reçu, cette fois, par l’état-major. Jusqu’à onze heures (23 heures), son Altesse resta dans le jardin qu’on éclaira, puis ses colonels parvinrent à le décider à se coucher. Il demanda une théière, du sucre et de l’eau. Je lui offris de faire son thé. Il refusa, me répondant qu’il le ferait lui-même dans sa chambre.

---------A deux heures du matin, je fus réveillée par un bruit dans l’escalier ; je crus que c’était le Prince qui était descendu et ne retrouvait plus sa chambre. Je prêtais l’oreille et entendis appeler : « Aimée ! » « Rosine ! » Je répondis en sautant au bas du lit. « Monsieur GERAUDEL est là », me crie-t-on. C’était le planton qui était de garde de nuit et qui ne savait où nous trouver. J’enfilais un peignoir à la course et descendis. Rosine me suivit et je trouvais Monsieur GERAUDEL Albert au premier, n’osant pénétrer dans sa chambre, de peur qu’elle ne fut occupée. Mais comme je la tenais fermée, Monsieur ne pouvant nous avertir juste le jour qu’il venait. Monsieur GERAUDEL nous raconta alors qu’il avait bien eu de la peine à rentrer chez-lui : on ne voulait pas le laisser entrer. Après une courte explication, chacun s’en retourna.

---------26 juillet 1916 - Grande revue, remise de décorations sur la Grand’Place, par le Général GOURAUD. Son Altesse y assista en grande tenue de gala.

---------Midi : Déjeuner chez Monsieur LEPOINTE, offert au Prince de Serbie par le Général HIRSCHAUER.

---------14 heures : La musique militaire vint jouer sous les fenêtres quelques jolis morceaux en l’honneur de son Altesse.

---------15 heures : Départ du Prince.

---------Il passa sa blouse grise sur son dolman, puis enleva son plumet. Il n’était pas reconnaissable. Il nous salua et partit. Dans la précipitation à voir le départ de son Altesse Royale, sa valise fut oubliée. Nous avons prévenu au bureau de l’état-major qui téléphona pour qu’on prévienne son Altesse que sa valise suivait. »

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